Christian Fazzino, la pétanque a sa légende (2024)

Par Fabrice Redon

Christian Fazzino est une légende. Tout simplement le meilleur joueur de l'histoire de son sport, la pétanque.

Consacré par ses pairs joueur du siècle en 2000, le Montluçonnais, âgé de 62 ans, vit depuis toujours dans l'ombre des grands champions français. Les Teddy Riner, Kylian Mbappé, Tony Parker et consorts. Parce qu'il n'a pas leur notoriété malgré une exposition médiatique tardive sur La chaîne L'Équipe et encore moins leurs émoluments.

Fin de la discussion? Sûrement pas! Car «le maître» affiche, lui aussi, un palmarès exceptionnel avec quatre titres de champion du monde et quinze titres de champion de France. Son talent naturel, sa faculté d'être aussi fort au point qu'au tir et son éthique de travail en font incontestablement l'un des plus grands sportifs français de l'histoire.

Nous l'avons rencontré à Montluçon, dans l'enceinte du boulodrome qui porte son nom, et partagé avec lui quelques tranches de vie.

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L'enfance de l'art

Des racines au Maroc

Christian Fazzino porte un nom à consonance italienne qui lui vient d'un «lointain arrière-grand-père». Pour autant, il a vu le jour, le 5 août 1956, à Fedala - aujourd'hui Mohammedia - une ville du Maroc, proche de Casablanca.

«C'était pendant les colonies françaises, il y en a qui étaient au Maroc, d'autres en Tunisie. A cette époque, mon père travaillait à la SNCF. Moi, je suis arrivé à Montluçon à l'âge de quatre ans. J'ai de bons souvenirs du quartier de Fontbouillant qui était très sympa.»

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L'image du père, bon joueur de pétanque

Le champion a de qui tenir. Son père, Nicolas, était un joueur reconnu sur Montluçon et sa région où il a remporté de nombreux concours. Avec Maurice Souche et François Perrin, Nicolas Fazzino a aussi glané plusieurs titres de champion départemental.

«Il n'a pas un grand palmarès mais il a quand même fait plusieurs championnats de France. Je ne sais pas s'il est sorti une fois de poule. Il m'a toujours dit: "tu fais ce que tu as envie de faire". Moi, j'adorais le suivre sur les concours.»

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Le temps des copains à Fontbouillant

Christian Fazzino jette ses premières boules à l'âge de sept ans sur le trottoir du bâtiment F, dans le quartier de Fontbouillant, juste à côté de l'église Saint-Martin.

« On était une dizaine de gamins grand maximum, je me rappelle qu'on jouait beaucoup plus sérieusem*nt que maintenant. A l'époque, on mettait de l'argent. Ce n'était pas grand-chose, vingt centimes, cinquante centimes ou un franc, de quoi se payer la glace. Mais ça permettait d'être très concentré et de toujours vouloir gagner.»

L'important, c'était la victoire

Très vite, le jeune Fazzino se découvre certaines prédispositions pour ce sport. «Il y avait dans le groupe des gamins qui étaient plus âgés, il fallait donc que je m'accroche. Je n'étais pas spécialement attiré par le point ou le tir, l'important, c'était la victoire. J'ai compris qu'un titre de champion de France, ça se gagnait au point. Et j'étais très très fort au point.»

C'est étonnant, Fazzino n'a jamais rien empoché dans les catégories jeunes. « Un championnat de France, ça se gagne ou ça se perd à trois. On a fait les cadets et les juniors, on est souvent sorti de poule mais on n'a jamais pu passer le samedi.»

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La machine à gagner

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Le premier titre de champion de France à Clermont

En juillet 1975, Christian Fazzino a 18 ans. Il participe à son premier championnat de France tête-à-tête à Clermont-Ferrand. Avec des ambitions limitées.

Trois carreaux sur la dernière mène

«Je suis parti un peu la fleur au fusil, j'ai fait des choses un peu inconscientes et ça a fonctionné. J'avais déjà une grosse capacité de jeu et je le savais. Je n'ai pas vraiment déroulé. Je sais qu'en quart de finale, je tombe sur un gars qui s'appelle Campana. Il ne m'a pas manqué une boule de la partie et je gagne quand même 13 à 9. En demi, je prends un gros joueur, Denis Salvador qui a l'habitude de jouer avec Paso et Capeau. Je le bats 13 à 11 avec une triple frappe à la dernière mène. La finale contre Alliès, un gars de Marseille, ça a été la cerise sur le gâteau. A 12 à 12, il a fallu que je frappe trois fois pour gagner. Trois carreaux sur la dernière mène. Quand on est jeune, on ne réalise pas vraiment la performance. Mais assez curieusem*nt, ça ne m'a pas fait grand-chose. Je suis d'un tempérament assez calme même si je râle tout le temps.»

Ce premier succès en appellera d'autres. Avec sept victoires entre 1975 et 2006, Christian Fazzino affiche le plus beau palmarès de la pétanque française en solo. Plus surprenant, il est tombé six fois en finale. «J'étais la tête de série à battre. Il y en a, ça leur fait perdre leurs moyens et d'autres ça les motive.»

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Les grands moments

Christian Fazzino a vécu beaucoup de grands moments au cours de sa carrière. Le championnat de France triplettes, en 2005, à Marseille, est l'un de ceux-là. Avec ses partenaires Frédéric Perrin et Raphaël Rypen, il se retrouve en finale contre le grand Marco Foyot. La partie est en train de se jouer. «La dernière boule que je tire, je fais rétro sur le bouchon et tout le monde explose. C'était incroyable», se remémore le joueur qui remporte ce jour-là son cinquième titre en triplettes.

Le «maître» garde aussi en mémoire le titre de champion de France tête-à-tête, en 2002, à Cournon. «J'avais pris tous les gros joueurs, Henri Lacroix, Christian Olmos le dimanche et j'ai fait un jeu exceptionnel. J'étais pratiquement imbattable ce jour-là. En finale, le petit Roig-Pons était en pleine forme mais il n'a fait que deux points parce que j'étais tout en haut.»

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La Marseillaise

Plus médiatique qu'un championnat de France, la Marseillaise, qui réunit chaque été plus de 10.000 joueurs, n'a jamais souri à Christian Fazzino. Il faut dire aussi qu'il ne compte que quatre participations à son actif, la dernière fois avec Kévin Malbec et Eric Nevraumont.

«J'en ai fait deux avec Marco Foyot et Jean-Michel Puccinelli, on a perdu chaque fois en huitième de finale. C'est une compétition un peu spéciale qui doit être sympa à gagner. Maintenant que je suis à la retraite, peut-être que j'aurai plus souvent l'occasion d'y aller. C'est l'une des compétitions qui me tentent le plus.»

La grande désillusion à Bruxelles

Sa plus grande désillusion, il l'a connue en finale des Mondiaux, en 1995, à Bruxelles. La fête promet d'être belle puisque l'équipe de France 1, composée de Christian Fazzino, Marco Foyot et Michel Schatz, dit Passo, affronte l'équipe de France 2 de Philippe Quintais, David Le Dantec et le jeune Philippe Suchaud. Sauf que Christian n'est pas là au moment où doit être donné le coup d'envoi. Il se pointera avec une heure de retard.

«Quand on arrive dans une enceinte comme ça et qu'on est sifflé de partout, il faut avoir le cœur solide. Dans ma tête, j'avais compris que c'était à 17 heures et je me suis trompé d'heure. J'étais dans ma chambre et quand on m'a appelé c'était l'heure de la finale, j'étais à trois quarts d'heure du terrain».

Le champion, qui en veut toujours à la fédération nationale de pétanque «d'avoir été incapable de nous trouver un hôtel à côté du lieu de la compétition», ne fera pas une grande finale. «J'étais milieu et je me suis retrouvé à tirer les boules importantes. Je les ai manquées et on a perdu».

Un record du monde à 992 boules sur 1.000

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La performance dépasse presque l'entendement. Au printemps 1995, à Millau, haut lieu de la pétanque, Christian Fazzino, apparemment en grande forme, frappe 992 boules sur 1.000 en moins d'une heure. En 55 minutes et 11 secondes pour être précis.

«On était parti toute la semaine pour préparer ce record du monde. Il faut être bien physiquement et bien dans sa tête au démarrage surtout qu'on était co-recordman avec Philippe Quintais à 991. Je pense que ce score va être très difficile à battre. D'ailleurs, plus personne ne le tente.»

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Le personnage public

Les fans: la moustache comme Fazzino

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«Bonjour Monsieur Fazzino, vous êtes mon idole comme joueur à tel point que je me suis laissé pousser la moustache et que je porte une casquette comme vous. Mon surnom est depuis peu Fazzino. Pour être au paradis, pourriez-vous me faire parvenir un de vos maillots. Si pas possible, sachez que vous resterez mon joueur préféré». Ce commentaire, on peut le lire sur la page Facebook du champion qu'il ne consulte jamais. Une photo par-ci, une signature par-là, c'est le lot quotidien du champion sur les concours.

«Ça marche plus dans le nord que dans le sud où les gens sont plus chaleureux. Ça ne me gêne pas mais il faut que ce soit le bon moment. Des fois, les gens viennent me voir pour un autographe juste avant la partie. Je leur demande s'ils peuvent attendre la fin, ils ne sont pas contents, disent que je suis prétentieux. Il faut comprendre qu'on doit être au top quand débute la partie. Après, je peux rester cinq, dix ou quinze minutes sans problème».

L'argent: «on n'est pas des footballeurs»

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Christian Fazzino n'a pas de villa dans le sud de la France, ni de compte en Suisse. «La pétanque, ça améliorait le salaire mais depuis le passage à l'euro on ne gagne pratiquement plus rien», assure le champion qui, lorsqu'il est invité sur un national, ne paye que les frais d'essence. L'hôtel et la restauration, c'est pour les organisateurs.

Diffusés sur La chaîne L'Équipe, les Masters mettent davantage de beurre dans les épinards. En remportant fin juin la deuxième étape du Puy-en-Velay, l'équipe Fazzino a gagné 2.100 euros à se partager en quatre. Les vainqueurs du final four, à Istres, eux, se sont partagés 8.000 euros.

Il y a trente ans, il y avait deux fois plus d'argent

«On n'est pas des footballeurs, commente le "maître" qui est parfois approché par des anonymes. L'an passé, une dame qui voulait faire plaisir à son mari nous avait proposé 1.000 euros à Christophe Sarrio et à moi. C'était un bon joueur parce qu'on est quand même arrivé en quart de finale à Sète. Quand on a des propositions, on accepte ou on n'accepte pas.On essaye de voir si le gars joue un peu, on ne veut pas être ridicule».

«Parfois, les gens ne comprennent pas pourquoi on a un sponsor mais quand vous gagnez un national et que vous avez 270 euros à la fin on peut dire que ce n'est pas grand-chose surtout que le sponsor vous donnera plus au départ. Il y a trente ans, il y avait deux fois plus d'argent et on jouait avec des bons joueurs pour aller au bout. Avec Daniel Voisin, on a gagné un peu d'argent».

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Partenaires particuliers

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Daniel Voisin, le mentor

Pendant plus de vingt ans, le Limougeaud Daniel Voisin a été à Christian Fazzino ce que le colonel Parker a été à Elvis Presley. Un mentor, un organisateur hors pair. Les deux hommes ont beaucoup gagné ensemble: un titre de champion de France doublettes en 1984, trois titres en triplettes en 1984, 1989 et 2002 et un Masters en 2002.

Il y a toujours eu du respect d'un côté comme de l'autre

«Il y a toujours eu du respect d'un côté comme de l'autre, révèle Christian Fazzino. On allait dans la même direction. Sur le terrain, on passait beaucoup de temps à se chamailler mais une fois que la partie était finie, c'était terminé. C'était presque un deuxième père pour moi».

Ce que le Limougeaud appréciait le plus dans le jeu du «maître», c'était sa capacité à bien pointer alors qu'il était le tireur de l'équipe. «Le point lui plaisait beaucoup, ça se voyait».

Les deux hommes se sont séparés en 2004. «Il était devenu sélectionneur d'une équipe étrangère. Moi, je considérais qu'on ne pouvait pas s'occuper d'une équipe et jouer en même temps», résume Christian Fazzino.

Philippe Suchaud, l'élève

Originaire de Cosne-d'Allier, à une vingtaine de kilomètres de Montluçon, le multiple champion du monde, Philippe Suchaud, a effectué ses premières armes à l'Amicale des Marais. Avec Christian Fazzino, il partage deux titres de champion de France triplettes et deux victoires aux Masters.

«Tout est arrivé par Daniel Voisin qui m'avait demandé de le remplacer sur un concours à Cournon-d'Auvergne en 1991, se remémore le Cosnois. J'ai fait ce concours avec Christian et Emilien Falcon qui jouait avec moi à cette époque et on a gagné le concours. Moi je jouais toujours avec mes copains et il se trouve qu'en 1994 j'ai fait un championnat départemental à Moulins et j'ai battu Christian en demi il me semble. L'année d'après, Daniel m'a demandé si je voulais signer chez eux aux Marais et en 1995 je suis champion de France avec Daniel Voisin en doublettes. Et après, on a construit la triplette comme ça et ça a duré pendant huit ans».

À son âge, il est encore très dur à jouer

Christian se souvient très bien du jeune Suchaud débarqué au club à l'âge de 18 ans. «J'ai découvert un garçon très cool. Sa force, c'était de ne pas se prendre au sérieux et de jouer sans pression. Il était déjà très adroit. Ce n'était pas un joueur qui faisait beaucoup de carreaux mais il était très régulier».

Philippe Suchaud est très reconnaissant envers Daniel Voisin et Christian Fazzino. «Ils m'ont guidé sur ma carrière même si, avec le recul, je me dis que Christian n'est vraiment pas facile à jouer. Il n'y en a pas beaucoup, mais j'ai eu la chance de pouvoir m'adapter avec lui. Il est incroyable, Christian. A son âge, il est encore très dur à jouer. Il a toujours été un professionnel de la pétanque, que ça soit à l'entraînement ou en compétition. Il est toujours resté athlétique, ce qui lui a permis de se maintenir au sommet toutes ses années».

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Malgré de nombreuses sollicitations en région lyonnaise et dans le midi, Christian Fazzino est toujours resté fidèle au club de l'Amicale des Marais pendant plus de cinquante ans.

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«La ville de Montluçon m'a proposé un aménagement qui m'a permis de faire cette longue carrière», justifie le champion qui, l'an prochain, rejoindra La Pétanque des Canuts, un gros club basé à Lyon. «J'avais aussi ma famille et tous mes amis qui étaient autour de moi. J'ai préféré l'amitié à la finance, je n'avais pas vraiment envie de faire de l'argent.»

Son palmarès en chiffres :

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4 titres de champion du monde triplettes : 1988, 1989, 1992, 1998. Mais aussi vice-champion du monde 1995.

15 titres de champion de France : sept victoires en tête-à-tête (1975, 1978, 1982, 1990, 2002, 2003, 2006) pour six finales perdues (1976, 1989, 1991, 1994, 2001, 2007).
Deux titres en doublettes (1984, 2013) pour deux finales perdues (1987, 2015).
Cinq titres en triplettes (1984, 1989, 1998, 2002, 2005) pour une finale perdue (1994).
Un titre de champion de France vétérans (2018).

4 victoires aux Masters : 2002, 2005, 2013, 2017.

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